Le Nomade stellaire : réalisation de l’utopie du Moi-Nous par Gerardo Luis Rodríguez

Un roman, sorti en 2018, a particulièrement retenu l’attention de TEMATICE, tant il touchait à ses thématiques de recherches : Le nomade stellaire d’Hector LOAIZA. En voici la recension par l’écrivain L.G. Rodriguez (traduction en Français : Andrés Perales)

Textes aléatoires et littéraires sur l’art de romancer. Jours tantriques en lisant les quadratures des coins de rue, pendant qu’il pleut à Mexico, bruine à Buenos Aires et à Lima, et qu’il neige abondamment à Paris, où on trame la finalité existentielle, sorte de urbi et orbi du nomade stellaire, un sybarite de l’éternité… Ici, je cesse de me crucifier et me déconnecte de l’ordinateur pour devenir taoïste…

Le roman Le Nomade stellaire (1) a paru en français écrit par l’auteur franco-péruvien, Hector Loaiza, sur lequel la littérature, les voyages et le journalisme ont tissé une mémoire de rencontres et de lieux extraordinaires…

0 : « Le vol chamanique n’est pas question de codes, câblages et circuits comme dans votre ordinateur… Vous devez avoir une attitude aléatoire au-delà des codes et des règles », m’a dit le chaman invisible.

1 : Le quantum du conte quantique : nanotechnologies, nanos et nains. Le protagoniste Aléatorius, porte de l’île de l’énergie du taureau…

Après quelques saisons dans la roue du destin à travers des champs ouverts, forêts vierges, déserts, paysages urbains, continentaux et sidéraux, de la puissance « n » à la « n », du néant au néant, s’accomplit la philosophie de l’Éternel retour. Aléatorius, dont le nom est une sorte de tétragrammaton (2), est un recours littéraire de l’auteur pour rendre son récit polyvalent.

Le roman touche divers sujets : l’histoire des religions, les technologies numériques, la philosophie, les guérillas latino-américaines et djihadistes ; et entremêle les thèmes écologiques et environnementaux à des conversations avec Héraclite dans le fleuve des mutations jusqu’au séjour dans le cumulo-nimbus des haut-plateaux. Le personnage Aléa synthétise le but psychobiologique, l’ambition de l’individu, Moi-le rêve, société-nous : Moi-Nous. Transmigrer en corps et âme vers d’autres mondes en tant que nomade stellaire. Ce que convoitait Carlos Castaneda, le « magicien de la tentative », Aléa réussit à le faire à la fin du roman sans artifices ni fanfare.

2 : Bons soleils ce jeudi sans temps, camarade touche (du clavier).

Parlons du « n » du Nomade au cénacle d’Avignon, scène du schisme et du séisme cathodique… Pourquoi un initié dans le désert d’Arizona et à la recherche de son jumeau chamanique arrive-t-il en France, à Pernes-les-Fontaines ? Au lieu de parler de « tribus », on parle de cénacles sans la volonté de puissance, sans la souveraineté de la raison, parce qu’on n’avait pas assez raclé le « cerveau » de la raison occidentale.

On a oublié que le « devoir en tant qu’êtres lucides est de mener le combat pour un nouvel ordre mondial », comme le conseille le maître à penser parisien de Xén, le jumeau astral d’Aléa.

Le lecteur universel trouve des réponses dans Le Nomade stellaire et ses personnages Aquino et Cabrera. Quelques-uns des rêves libertaires de l’auteur, qui sont incorporés aux guérillas des années 1960-1970, deviennent cinématographiques comme s’ils étaient filmés par le réalisateur italien, Gillo Pontecorvo, auteur de La Bataille d’Alger, qui fut un modèle d’organisation pour la guérilla urbaine sud-américaine : le M-19 colombien, le MIR chilien et d’autres groupes. Aquino qui, dans le roman, déambule, rêvasse, se prend pour une vedette comme Sean Connery, imitant le charisme et la sympathie du Che, reliant les militants ou les adeptes pour cette conspiration mondiale destinée à l’échec…

L’insurrection se dégonfle, mais pour Aléa, cela lui servira à concevoir un prototype d’ordinateur à la logique quaternaire, construit par une start-up financée par le groupe Orbis. On trouve aussi un mentor secret, Xén, et quelques femmes passionnées par l’action, des chamans, des ésotéristes et des personnages mystérieux. Avec les projections de l’Ego des Latino-Américains – y compris le stéréotype du « latin lover » –, Hector Loaiza parvient dans Le Nomade stellaire à faire un résumé quelque peu nostalgique de la guérilla triomphante à Cuba, de la tentative d’instaurer le socialisme au Chili, des expériences inachevées en Uruguay et au Venezuela. Il fait le récit des péripéties de ses personnages engagés et analyse les virus du divisionnisme qui ont démantibulé la nouvelle gauche ou ont momifié la gauche traditionnelle.

Et quand un roman pose des questions, c’est parce qu’il prend le pouls de la pensée, car il est parvenu à ce que le lecteur questionne « la vérité intérieure de la fiction » et du réel. Tel Robert Musil et son « homme sans qualités », Hector Loaiza écrit en réalité ses mémoires avec la philosophie de celui qui s’assoit au bord de l’infini et parle avec le lucide Lucrèce sur la « nature des choses ».

3 : Au rythme du yoga céleste, de la transe chamanique, du dévoreur d’étoiles filantes, des fugacités de comètes et d’explosions galactiques, l’auteur nous transporte avec un langage touffu, mais précis et concis, dans ses jeux verbaux, distendant le suspense pour nous donner sa vision du monde d’aujourd’hui. C’est le roman qui lit et fait la cartographie de l’actualité avec les cendres encore fumantes du passé, où des œuvres et des auteurs circulent à travers les pages, surtout les maîtres de l’Éternel retour : Héraclite et le serpent Ouroboros (3).

Les lectrices du roman trouveront des modèles de femmes exquises et créatrices à la fois engagées dans des idéaux et des causes, telle Emma, un profil un peu semblable à celui de Tamara Bunke Bider – plus connue sous le surnom de Tania la guérilléra –, la dernière compagne du Che… Ou Adèle, passionnée par les missions humanitaires, et Lucie l’ésotériste, convaincue que le germe d’amour enfoui dans le cœur de chaque être humain peut lui rendre sa noblesse perdue.

Outre le plaisir de l’intrigue, le jeu entre le Oui et le Non, entre le 1 et le 0 de la logique binaire, du « on est ou on n’est pas » de Zénon d’Eléa, l’autre attrait du roman consiste notamment dans la description des lieux, des ambiances et des scènes avec les yeux de Méduse et le savoir de l’historien-guide pour touristes, qui invitent le lecteur au voyage et à mettre en pratique le concept du nomadisme… Avec cette liberté dans tous les champs, cette mise à nu de la dépouille psycho-idéologique des radicalismes et cette mentalité et volonté de mutation héraclitéenne : la seule chose qui reste est le changement. Aléa suit les conseils des vieux Indiens d’Arizona pour devenir un explorateur de connaissances, et l’un de ses outils est l’oniromancie et la prescience qui percent les réalités invisibles. « Tu ne dois jamais oublier l’origine de l’Univers et l’existence de multiples univers », conseille l’un des Indiens.

En se déclarant voyageur permanent comme le fleuve, le vent et la vie des êtres, le nomade n’est que la fusion de thèmes de diverses cultures comme le chamanisme, l’ésotérisme, la science, la magie, la religion, et avant tout – je le mets en relief – l’utilisation de pouvoirs paranormaux pour matérialiser des utopies. À l’image du voyage final d’Aléa, l’auteur a repris l’expérience initiatique de Castaneda et s’est inspiré de ses livres comme un tremplin pour réaliser cet envol littéraire, à savoir : la rencontre avec des maîtres amérindiens, « être élu », camoufler son alter ego dans d’autres personnages et événements fictifs, et les couronner de ce départ mythique depuis les temps d’Élie et d’Énoch… La vie d’Aléatorius, l’homme du XXIIe siècle, est multipolaire et multi-errante.

4 : Le Nomade stellaire, pour un Latino-Américain, devient un manuel mondial de voyages culturels et géographiques, gastronomiques et oniriques, terriens et sidéraux, une carte de la volonté de pouvoir et d’être.

Bogota, le 22 juillet 2018

(1) Le Nomade stellaire par Hector Loaiza, Éditions de L’Harmattan, Paris, 2018, 383 pages, 29 € (ISBN 978-2-343-13824-4).

(2) Le tétragrammaton, composé de quatre lettres de l’alphabet hébreu, est le nom de Dieu dans la religion juive, retranscrit en français en YHWH, c’est-à-dire Yahvé.

(3) Ouroboros : Le serpent immobile, fermé sur lui-même, représente par sa queue prise dans sa bouche la conjonction du principe et de la fin, l’Éternel autour.